Un film de Francis Lawrence
Les fans du King (non, pas Elvis, l’autre, le Maître de l’Horreur, Stephen King) l’attendaient depuis longtemps, très longtemps. Le roman, dont le titre original est The Long Walk, avait été publié en 1979, mais le célèbre écrivain l’avait écrit bien avant, entre 1966 et 1967, alors que l’Amérique était enlisée en pleine guerre du Vietnam.

À l’origine l’histoire était la suivante : 100 jeunes volontaires de moins de 18 ans s’engageaient dans la Longue Marche, cette épreuve sans fin définie à l’avance et qui ne s’arrête que lorsqu’il ne reste plus qu’un seul candidat debout. Le principe était très simple : 100 marcheurs traversent le pays à pied sans jamais s’arrêter, à une cadence imposée de 6,4 km/heure. Marcher en deçà de cette vitesse plus de trente secondes est sanctionné par un avertissement, au bout de trois les militaires qui escortent le groupe tout le long de l’épreuve exécutent le malheureux. Chaque avertissement disparaît au bout d’une heure. Le but est de tenir le plus longtemps possible et d’être le dernier à marcher. À la clef, le Prix, qui récompense le gagnant en lui offrant tout ce qu’il désire pour le reste de ses jours.

Les puristes diront que Francis Lawrence ne respecte pas tout à la lettre. Certes, ici les candidats sont réduits à 50, comme les 50 États composant l’Amérique, la vitesse est de 3 miles/heure, soit 4,8 km/heure, et le Prix est composé d’une grosse somme d’argent ET d’un vœu. Mais là n’est pas le plus important. Le contexte de l’œuvre originale a bien été respecté, tant social, économique que politique, et les rapports humains qui régissent le groupe sont au cœur de ce terrifiant récit.
La participation à la Longue Marche est bien volontaire, elle se fait par tirage au sort. Mais la propagande de l’État totalitaire qu’est devenue l’Amérique est telle que chaque jeune homme est plus qu’incité à participer. L’Amérique est en plein déclin, la crise économique a frappé tout le pays, la misère est partout. Pour redonner de l’espoir à la population, la pousser à se dépasser, la Longue Marche a été créée. À sa tête, le Commandant, qui harangue les concurrents en leur faisant miroiter le rôle qu’ils ont à jouer dans la renaissance de l’Amérique.

Dans le rôle du Commandant, les cinéphiles auront la surprise de voir un ancien Jedi prendre la tête du convoi en la personne de Mark Hamill. Dès les premières scènes le Commandant se lance dans un discours hallucinant, digne des plus célèbres propagandes d’États totalitaires. Il y est question de la grandeur passée de l’Amérique, de l’augmentation de la productivité, en berne, et enfin de remettre l’Amérique à sa place de leader apparemment perdue depuis longtemps. La manière dont le Commandant s’adresse à ses marcheurs fait froid dans le dos. Appuyant ses propos, les kilomètres que les marcheurs avalent se font en traversant des territoires fantômes, paysages désolés à perte de vue, avec cadavres de bétail ou vieilles carcasses de voitures sur le bas-côté. L’Amérique a sombré…

Ray Garraty est le personnage principal et Peter McVries le second. Mais les deux font partie d’un tout, ce qui rend l’histoire passionnante. Marchant côte à côte, les gamins se découvrent, partagent leurs sentiments sur un ton léger, au début. Puis vient la première exécution, le film est alors vraiment lancé. Le réalisateur Francis Lawrence a cherché à donner la même profondeur, la même consistance à ses personnages que l’a fait Stephen King dans son livre. Bien sûr, avec une durée d’un peu plus d’une heure 45 il a dû faire des compromis, mais il a su retranscrire l’atmosphère du bouquin (de plus en plus étouffante à mesure que la liste des laissés-sur-la-route s’alourdit), et à donner à Garraty la force qui y était la sienne.
Dans le rôle de Garraty, le comédien Cooper Alexander Hoffman (vu récemment dans Old Guy de Simon West) délivre une partition sans fautes. Fils du regretté Philip Seymour Hoffman, il incarne un jeune homme d’une extrême générosité, mais animé d’une volonté farouche de gagner du fait de son passé. Face à lui, David Jonsson (Alien : Romulus) incarne son acolyte Peter McVries. Jeune homme exubérant et sûr de lui au départ, il va progressivement se confier à Garraty et raconter sa douloureuse histoire.

Plus connu pour avoir réalisé quatre opus de la série Hunter Games (et aussi l’intéressant Constantine avec Keanu Reeves), Francis Lawrence donne ici sa vision du cauchemar imaginé il y a longtemps par Stephen King. Il y est parvenu, et les fans du roman devraient lui pardonner les quelques trahisons nécessaires. La fin pourra surprendre, mais elle conserve l’esprit de l’histoire racontée par Stephen King.
Jérôme Magne