29ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer

La Perle des Vosges rouvre ses salles aux amateurs de sensations fortes.

 

 

 

L’année dernière, le festival s’était trouvé confronté à un adversaire de taille, le COVID. La pandémie s’était installée durablement dans nos vies, et avait failli priver les amateurs de films de genre de leur frisson annuel. C’était sans compter sur la volonté des organisateurs, qui avaient réussi à maintenir la manifestation en la proposant en format dématérialisé. Un festival intégralement en ligne, histoire de montrer que Gérardmer n’avait pas dit son dernier mot et qu’il en faudrait plus pour annuler l’événement. En agissant de la sorte les organisateurs démontraient leur courage et leur envie, permettant par la même occasion de faire découvrir le festival à un nouveau public qui n’avait jamais fait le déplacement au coeur des Vosges. Une année donc à part, en rien comparable aux précédentes.

En cette fin de mois de janvier 2022 le festival a réinvesti les salles, un soulagement pour les habitués. Car le spectre de la pandémie n’était jamais loin, et jusqu’au bout l’incertitude quant au maintien de l’événement a plané dans l’esprit du public. Le festival a pu avoir lieu, et les spectateurs étaient au rendez-vous. La fréquentation était bonne, identique à 2020, ce qui était surprenant vu les contraintes de pass vaccinal + gestes barrières imposés aux spectateurs (masque obligatoire dans les salles de projection, restaurants, bars, lieux fermés….). Mais les amateurs étaient bel et bien présents, avec toujours le même enthousiasme et cette capacité inimitable à chauffer les salles.salles. Avec 10 films en compétition le festival avait vu grand, et les membres des jurys avaient tous répondu à l’appel. Julie Gayet était la présidente du Jury Compétition longs-métrages. Elle était assistée de Grégory Montel, Alexandre Aja (un habitué du festival), Suliane Brahim, Valérie Donzelli, Mélanie Doutey, Bertrand Mandico et Pascal-Alex Vincent. Pour la compétition courts-métrages, c’étaient les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma (ils nous avaient donné l’excellent Teddy l’année dernière à Gérardmer) qui se chargeaient de la présidence. Ils étaient assistés de Shirine Boutella, Saïda Jawad et Antonin Peretjatko.

JOUR 1.

On a commencé notre journée avec She Will, un film du Royaume-Uni mis en scène par Charlotte Colbert et sélectionné dans le cadre de la compétition officielle. Lors de sa première projection à l’Espace Lac, la comédienne principale, Alice Krige, est montée sur la scène pour présenter le film. Le long-métrage invite le spectateur à partager le voyage d’une ancienne star vieillissante au cœur d’une nature à la fois apaisante et insidieusement menaçante. Accompagnée d’une assistante dévouée, Veronica Ghent va faire face à un ancien traumatisme qui ne l’a jamais quittée. Les lieux ont été le théâtre de sorcellerie et de la répression de celle-ci, et la venue de Veronica va lui permettre de remettre les compteurs à zéro avec une vieille connaissance. Très habile dans le sous-entendu, She Will nous permet de croiser cette vieille trogne de Malcolm McDowell et de partager la psyché ô combien perturbée de son personnage principal.

Le second film de cette première journée était une production franco-sénégalaise présentée hors compétition, Saloum. Là encore, une partie de l’équipe du film était venue présenter le film sur la scène du Lac, le réalisateur Jean-Luc Herbulot n’ayant pu faire le déplacement dans la Perle des Vosges. Le producteur Alexis Perrin et le comédien principal Yann Gaël avaient expliqué la genèse du film à un public toujours accueillant. Le long-métrage s’articulait autour de la cavale d’une équipe de mercenaires à travers la Guinée Bissau, la Gambie et le Sénégal. Présentée au départ comme sanguinaire, l’équipe serait progressivement humanisée, notamment par sa confrontation à des événements surnaturels. Issus du folklore africain, ceux-ci envahiraient peu à peu le film et se mettraient en travers de la route de personnages devenus attachants. En un peu plus d’une heure vingt, Saloum propose un étonnant mélange des genres qui fonctionne bien. Un film fantastique en langue française que l’on aimerait bien voir distribué dans les mois qui viennent.

Troisième projection de la journée, le film taïwanais The Sadness, présenté en compétition du festival. Alors là même les plus fatigués des spectateurs ne risquaient pas de s’assoupir, tant le long-métrage proposait un cocktail survitaminé à base de gore (beaucoup) et de sexe (un peu). Dans cette sombre histoire de virus qui se propage dans les rues de Taïwan, nous suivons la course effrénée de Jim et Kat, deux jeunes amoureux que les événements ont séparés et qui cherchent à se retrouver au milieu du chaos ambiant. Le metteur en scène Rob Jabbaz n’y va pas par quatre chemin et n’a pas peur de l’outrance. Cela tombe bien, les amateurs viennent aussi pour cela, à Gérardmer ! Avec The Sadness Rob Jabbaz atteint plusieurs objectifs : il parvient à choquer (la projection à l’Espace Lac a d’ailleurs été légèrement perturbée par l’évacuation d’une spectatrice faisant un malaise suite à l’accumulation se scènes-choc), ce qui est un des impératifs du sous-genre des « films d’infectés » tout en débordant sur des terrains plus sensibles, sans paraître ridicule. Il y a ainsi une forme de poésie dans la tragédie que nous fait partager le film, même si celui-ci est devenu plus célèbre pour son horreur décomplexée.

La quatrième projection était l’occasion de retrouver Paco Plaza, 14 années après son passage fracassant à Gérardmer avec le premier REC (récompensé par 3 Prix à l’époque, celui du Jury, du Jury Jeunes, et du Public), coréalisé avec Jaume Balaguero. Le réalisateur était dans la salle, il est monté sur la scène du Lac afin de présenter La abuela, présenté en compétition. Son film nous a embarqué dans un cauchemar éveillé aux côtés de son personnage principal, Susana, mannequin sur le point de percer dans le milieu parisien de la mode. Appelée au chevet de sa grand-mère (la abuela en question) qui a fait un avc, Susana doit rentrer à Madrid pour s’occuper d’elle le temps de trouver une solution pour la prendre en charge. Et dans le grand appartement madrilène, des souvenirs vont resurgir (Susana a été élevée par sa grand-mère), et l’aïeule va sembler de moins en moins inoffensive. Après une montée en puissance progressive, le film atteint un crescendo qui -bien qu’un peu prévisible pour les habitués- fonctionne tout à fait. À la fois grâce à la mise en scène et à l’interprétation de ses deux interprètes principales. Le film se clôt sur une conclusion glaçante, comme on les aime à Gérardmer. Le film fut récompensé par le Prix du Jury (ex-aequo avec SHAMAIN de Kate Dolan).

Le cinquième (limite au nombre de réservations quotidiennes en ligne possibles lors du festival) et dernier film de cette première journée était un véritable OVNI. Il s’agissait de Mona Lisa and the Bood Moon réalisé par la réalisatrice américaine d’origine iranienne Ana Lily Amirpour (qui nous avait donné il y a déjà 8 ans l’étonnant A Girl Walks Home Alone at Night, film de vampire en noir et blanc dans un enfer iranien). Le spectateur y suivait les errances d’une jeune fille au coeur de la Nouvelle-Orléans. Échappée lors d’une nuit de pleine lune d’un hôpital psychiatrique où elle était enfermée depuis plus de dix ans, Mona Lisa Lee est une jeune fille dotée de pouvoirs paranormaux. Elle va découvrir un monde qu’elle ne connaît pas et croiser des personnes plus ou moins bien intentionnées. Emmenée par une bande-son phénoménale (le film a été récompensé par le Prix de la Meilleure Musique), la cavale de Mona invite le spectateur à une vision finalement optimiste du monde. Ana Lily Amirpour a fait un portrait de l’innocence, confrontée à l’inconnu, mais sous l’angle de la bienveillance. Avec ses personnages bien écrits (et un contre-emploi de Kate Hudson, ici à des années-lumière de ses rôles habituels) et ses éléments de comédie habilement mêlés au fantastique, Mona Lisa and the Blood Moon est une pellicule inclassable au style si particulier. Le film aurait bien mérité un prix supplémentaire…

JOUR 2.

La première projection de cette seconde journée commençait avec un film d’animation japonais de Takahide Hori intitulé Junk Head. Il y était question de la survie de l’espèce humaine dans un futur lointain. Les hommes sont devenus éternels, mais ne peuvent plus se reproduire. Un humanoïde est envoyé au plus profond de la Terre, afin de comprendre ce que sont devenus les madrigans, ces créatures créées par l’homme il y a bien longtemps afin de les servir. Dans ce voyage mouvementé, on croise de tout. Les personnages animés en stop-motion sont étonnants (la créature d’Alien fait plusieurs apparitions remarquées, dans les obscures galeries que parcourt le « héros »), et s’expriment via un mélange de borborygmes incompréhensibles, onomatopées et sons étouffés. Une ballade plutôt originale, mais peut-être un peu trop longue pour son propre bien. Le film questionne sur la vie, la mort avec des personnages qui deviennent attachants.

La seconde projection du jour allait prolonger l’impression ressentie avec le précédent. Il s’agissait du film After Blue (Paradis sale), le délire (sans connotation négative) proposé par Bertrand Mandico. Dans ce film de science-fiction présenté hors compétition, Bertrand Mandico nous invitait à rejoindre Roxy, fille de Zora, sur la planète After Blue. Sur cette planète uniquement peuplée de femmes, Zora, jeune fille un peu fantasque, aurait commis l’irréparable, libérer une meurtrière, Kate Bush (!!!) ensevelie jusqu’au cou dans le sable au bord d’une plage. Jugée par ses pairs, elle devra partir à sa poursuite pour l’éliminer. Le long-métrage de Bertrand Mandico se dévoile très vite. Les premières images, les premières notes de musique nous indiquent que le film sera différent du cinéma mainstream. Si l’histoire est abracadabrante, elle nous offre des tableaux visuels inédits, certains somptueux, et les dialogues surréalistes, parfois trop appuyés et répétitifs ont pour effet de renforcer le décalage que propose le film. Tout à fait à sa place à Gérardmer, After Blue a suscité certaines réactions (quelques spectateurs sont sortis de la salle au cours des 15 premières minutes), mais a laissé une impression étrange à l’issue de sa projection. Au point de se demander si on avait réellement assisté à certaines scènes, ou plutôt rêvé…

Troisième film du jour, le Hongrois Post Mortem, en compétition, dans lequel un jeune rescapé de la Grande Guerre, Tomas, revient à la vie civile comme photographe des défunts. Il met en scène ceux-ci dans des décors propres à leur entourage, les clichés prenant place ensuite dans les albums de famille. Revenu d’entre les morts, Tomas croit au paranormal, et éprouve une réelle empathie envers les morts. Ce qui l’aidera beaucoup dans ce qui suivra. Son travail n’est pas aussi macabre qu’on pourrait le croire, il offre aux familles éprouvées par le deuil une forme de réconfort, avec un tout dernier souvenir. Dans le village où il a été invité les fantômes des défunts se manifestent. Ils commencent par semer le trouble, puis la mort. Tomas finira par comprendre ce qu’ils veulent, et découvrira par la même occasion sa véritable raison d’être, celle qui est devenue la sienne suite à sa «résurrection dans les tranchées». Avec son histoire originale et ses moyens limités (mais largement suffisants), le réalisateur hongrois Péter Bergendy a réussi un subtil mélange entre surnaturel et poésie (voir les scènes où Tomas est aux côtés des familles ayant retrouvé la paix) Post Mortem relâche le spectateur sur une impression étrange, entre légèreté et exaltation.

Quatrième film, Censor de la galloise Prano Bailey-Bond, présenté hors compétition. L’histoire nous fait partager le quotidien d’Enid Baines, fonctionnaire travaillant pour le bureau de la classification des films en Angleterre. Son rôle a la commission de censure est de s’assurer que les films proposés au public ne sont pas de nature à le traumatiser ou le pousser à la violence. Nous sommes en 1985, l’administration Thatcher bat son plein, et le marché de la cassette vidéo est en plein essor, avec la controverse des célèbres « video nasties ». Ces films mettaiennt en scène une ultra-violence et un gore assumé et constituaient une défiance criante pour l’establishment d’alors. N’ayant jamais vraiment accepté la disparition de sa sœur il y a longtemps, Enid sera persuadée de la voir au détour de scène d’un récent film d’horreur. Elle va alors chercher à se rapprocher de son metteur en scène, afin de retrouver la trace de sa sœur disparue. Son esprit torturé aura de plus en plus de mal de discerner le vrai du faux, et elle s’engagera sur une ballade de plus en plus sanglante. Avec son petit côté « Peter Strickland », pour le travail sur les sens et la perception, Censor devient de plus en plus oppressant au fil des scènes, pour se conclure par un final tout en fureur.

Cinquième et dernier film de ce jour 2, Ogre d’Arnaud Malherbe. Présenté en compétition, le film fut projeté à la séance de 20H00 à l’Espace Lac, et fut précédé par la cérémonie-hommage au cinéaste britannique Edgar Wright qui était présent. Celui-ci fut présenté par Alexandre Aja, avant de prendre la parole devant un public conquis. Edgar Wright laissa ensuite la place au réalisateur Arnaud Malherbe, venu parler de son film, tout en excusant l’absence de la comédienne principale, Ana Girardot, absente pour cause de COVID. Ogre raconte le nouveau départ que prend une mère et son fils, Chloé et Jules, partis loin d’un époux/père abusif et violent pour s’installer dans un petit village du Morvan. Chloé est accueillie très chaleureusement, elle sera la nouvelle institutrice d’une école rouverte pour l’occasion. Dans le village le sujet sur toutes les lèvres est celui de la bête sauvage qui rôde, et s’attaque au bétail des agriculteurs. Et peu de temps auparavant, un jeune garçon de 8 ans a disparu. Pour Jules, qui souffre de surdité, pas de doutes, un ogre erre dans la forêt voisine, c’est lui qui s’en prend aux bêtes et qui a enlevé le disparu. Arnaud Malherbe prend son temps, on ne peut deviner où il veut en venir. Il développe ses personnages, promène le spectateur entre l’imagination débordante du personnage de Jules (excellent Giovanni Pucci) et les apparitions du monstre. Pour brouiller un peu plus les pistes, il introduit le personnage du médecin du village, interprété avec une (trop ?) grande ambiguïté par le comédien Samuel Jouy. La surdité de Jules est l’occasion de pure frayeur, le gamin enlevant ses prothèses auditives aux moments-clefs. Le film se laisse regarder avec un certain plaisir, mais la fin laisse un goût d’inachevé, à force de laisser planer le doute.

JOUR 3.

Premier film de ce dernier jour, The Innocents du Norvégien Eskil Vogt. Le spectateur y suit un groupe de jeunes enfants habitants dans une banlieue nordique. Les nouveaux venus vont se mêler aux résidents, et découvrir qu’ils partagent certains pouvoirs paranormaux. Dès les premières scènes on ressent le trouble lié à la cruauté si particulière dont seuls les enfants sont capables. Eskil Vogt capte le malaise, lié à l’absence de remords qui vient en contradiction complète avec l’innocence supposée des petites têtes blondes. Tous ne sont bien sûr par malfaisants, mais comme bien souvent dans ce genre de production, c’est le « méchant » qui marque le plus les esprits. The Innocents ne s’embarrasse pas de spectaculaire inutile, il est tout en finesse. La menace est diffuse, elle s’accompagne de rares fulgurances de violence. Le cinéma d’Eskil Vogt s’appuie avant tout sur l’émotion et la suggestion, aidé par une distribution irréprochable. Mention spéciale à la comédienne norvégienne Alva Brynsmo Ramstad qui crève l’écran dans le rôle d’Anna, la grande sœur handicapée de l’héroïne, et à Rakel Lenora Flottum qui incarne le rôle principal, Ida. Celle-ci alterne le côté inexpressif et la spontanéité naturelle des enfants avec une facilité déconcertante. Le film fut doublement récompensé à Gérardmer, avec le Prix de la Critique et celui du Public.

Second film de ce dimanche 30 janvier 2022, le délirant Crabs. Projeté lors de la Nuit Décalée, il s’agissait là de fournir un délire digne des pires soirées vidéo de notre adolescence. Et force est de reconnaître que le film remplit parfaitement sa mission. Dans cette histoire de crabes modifiés suite à des radiations nucléaires, rien n’est mis de côté. Les comédiens en font des tonnes, les crabes improbables le disputent à la monstrueuse créature finale, la musique tonitruante côtoie des dialogues stupides à souhait sans le moindre complexe. Peirce M Berolzheimer assume le côté délire sans queue ni tête de Crabs, et finalement son film s’avère une petite bouffée d’oxygène au coeur de projections plus anxiogènes qui font le quotidien du festival.

Troisième film du jour, Eight for Silver du britannique Sean Ellis, qui nous avait déjà présenté The Broken lors de l’édition 2008 du festival. Nous y suivons John McBride, pathologiste appelé à la rescousse au coeur d’un village de la France rurale à la fin du 19ème siècle. Des événements surnaturels mettent le village à feu et à sang, une créature semble en être la cause. L’origine viendrait du massacre de bohémiens par les notables du village, afin de mettre la main sur leurs terres. Les légendes tziganes auraient ressuscité un monstre carnassier proche du loup-garou. Tant mieux, à Gérardmer on adore les loups-garous ! La photographie est réussie, en particulier par temps obscur, dans les brumes qui envahissent la forêt et les marécages au petit matin. L’histoire se construit progressivement, fait le lien avec d’autres phénomènes de l’époque (la célèbre créature du Gévaudan!), voyage dans le temps (les premières scènes nous montrent la bataille de la Somme, en 1917, puis font marche arrière, pour se conclure là où le film a commencé). Un récit que les amateurs ont apprécié, entre bestiaire imaginaire, poésie et malédiction.

Voilà, c’en est fini de ce tour d’horizon de la 29ᵉ édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. En renouant avec son public, la manifestation a prouvé qu’elle n’a rien perdu de son pouvoir d’attraction. Avec 40 000 spectateurs, le festival a retrouvé les chiffres de l’année 2020, et confirme sa place au coeur du genre. Les spectateurs ont progressivement quitté la Perle des Vosges, et pensent déjà à la prochaine édition. La 30ᵉ, qui devrait nous réserver bien des surprises…

Jérôme MAGNE

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